Le désert des Almoravides (Mauritanie, 1971)
(Récit d’après mes souvenirs)
Vraiment, nous n’en pouvions plus. Il nous fallait des vacances ! Au moins quelques jours, pour ne pas craquer. Sylvie s’ennuyait à mourir. Sa vie s’allongeait, monotone, entre des apéros interminables où il fallait supporter les conversations insipides des « expatriés », et les longues après-midis muettes sur la plage. La mer était belle, pourtant, mais glaciale, et dangereuse. On ne s’y baignait pas. Les deux enfants étaient le seul réconfort de leur mère. Eux, ils savaient s’amuser, en jouant dans le sable. Mais leur joie, leur insouciance, ne faisait qu’accentuer sa tristesse. Quant à moi, je partais le matin pour revenir le soir tard, épuisé, dégoûté surtout d’avoir constaté la misère des gens dont j’étais censé m’occuper, et mon impuissance. Je relevais d’une crise de paludisme grave qui avait failli m’emporter, et dont Sylvie m’avait sauvé. Lentement, le choléra s’approchait par la vallée du Fleuve, et menaçait la ville marécageuse où nous habitions. Avant qu’il n’arrive, il était possible de partir une semaine… Ce furent quatre jours.
Nous avons confié les enfants à des amis sûrs. Nous sommes partis vers le nord, c’est-à-dire vers le désert, vers les villes saintes de l’Adrar : Chinguetti, Ouadane, leurs mosquées antiques, leurs bibliothèques enfouies dans le sable. En quittant les marais où hivernaient une bonne partie des oiseaux d’Europe, les roselières où couraient les phacochères, les dunes épineuses, les sentiers tracés dans la poussière rouge par la queue traînante des varans, on traversait d’abord de maigres rizières, attaquées par le sel que l’irrigation faisait remonter du sous-sol. On atteignait le Fleuve majestueux, on le traversait en plaçant la voiture par-dessus les planches brinquebalantes d’un bac ancestral, on écoutait les lamantins brouter d’invisibles pâturages aquatiques, on débarquait.
Sans y penser, tellement ce paysage nous était devenu familier, nous avions aussi franchi une frontière internationale. Sans doute, un fonctionnaire des douanes nous fit-il signe, un signe que je pris pour une salutation de bon augure, et auquel je répondis joyeusement. Mais c’était tout autre chose. Vingt minutes plus tard, nous étions rattrapés par deux hommes très en colère, le Commandant du poste frontière et un Député au Parlement de Nouakchott. Le voyage commençait bien ! Nous avons été ramenés à la frontière, interrogés. Je me voyais déjà interdit de séjour. Notre perplexité a dû, cependant, les convaincre de notre bonne foi, et nous avons pu repartir avec les honneurs de la guerre.
Nous connaissions bien les Maures : toutes les boutiques où nous allions étaient à eux, sauf celles qui appartenaient à des Libanais, ou à des Syriens. Nous connaissions leur retenue, leur dignité, leur condescendance. Il y en avait des blancs (beïdanes) et des noirs (soudanes), tous enturbannés de blanc ou d’indigo, vêtus d’amples caftans blancs ou bleu clair brodés d’or. Mais pour la première fois, nous étions chez eux. Notre ville leur avait longtemps servi de capitale. Au « temps des Français », elle avait été d’ailleurs la capitale de toute l’Afrique Occidentale. Mais, lors de l’indépendance, il n’y avait pas encore de ville digne de ce nom en Mauritanie : il avait fallu en construire une, et cela prit quelques années. Ce fut Nouakchott. En attendant, la capitale de leur pays fut une ville étrangère. Quelle chose étrange, quand on pense que des villes ont existé là durant des siècles. J’ai déjà cité Ouadane et Chinguetti. Il y eut aussi Aoudaghost, Koumbi Saleh, Azougui, Oualata, Tichitt. Mais ces villes, qui furent des capitales en leur temps, sont ruinées. Il ne restait que les pistes caravanières, les haltes autour des puits, les oasis, et quelques villages de pêcheurs le long de la côte atlantique, ou sur la rive du Fleuve. Dans la baie du Lévrier, il y avait, bien sûr, Port-Étienne. Mais Port-Étienne était une agglomération minière, un port marchand, indigne, semblait-il, de la nouvelle République.
Le pays est tout plat. Jusqu’au nord de Nouakchott, ce n’est pas encore le désert saharien. C’est un Sahel qui devient de plus en plus aride, mais où poussent des herbes, des arbustes épineux, des acacias, des baobabs. La route est parcourue par des caravanes de dromadaires et par des camions. Des enfants, venus de nulle part, vous contemplent avec curiosité.
Nous roulons, sans nous arrêter, jusqu’au centre de Nouakchott. En 1970, Nouakchott n’a encore que quelques années d’existence, et c’est à peine une ville. Désignée capitale dès 1957, on n’en a dressé les plans qu’en 1959. En 1971, pourtant, elle comptait déjà quelque 80000 habitants[1]. Nous apercevons des immeubles tristes, des rues ensablées, et des quartiers traditionnels faits de maisons de terre. Des tentes nomades, aussi. J’aperçois soudain l’hôpital, qui semble en construction, et j’ai aussitôt l’idée lumineuse d’y laisser la voiture, et de continuer en taxi. C’est vrai : j’avais peur de tomber en panne. Le taxi de brousse me paraissait plus sûr : au moins, nous n’aurions pas été seuls, en cas d’incident mécanique. Trouver un taxi-brousse est facile. Ils attendent tous à la gare routière. Il faut en repérer un qui se propose de partir vers Atar, la capitale de l’Adrar. Il faut surtout vider notre voiture des bagages qu’elle contient : deux valises, dont l’une est entièrement remplie de bouteilles d’eau minérale. Elle pèse du plomb !
Le chauffeur d’une vieille Peugeot accepte de nous prendre en charge, avec cinq ou six autres passagers. Quatre cents kilomètres de piste, de plus en plus ensablée, où nous commençons à voir le vrai Sahara. À mi-chemin, nous faisons une halte à Akjoujt. Il y a là une mine de cuivre à ciel ouvert, ainsi qu’une ancienne forteresse de l’armée française, aujourd’hui à l’abandon. Nous visitons ces murs énormes de terre d’ocre, faits pour résister aux assauts des méharistes et des tirailleurs « irréguliers » à l’époque, pas si ancienne, où la Mauritanie tout entière était irrédentiste. L’après-midi est avancée quand nous reprenons la route. Soudain, un bruit terrible et des secousses répétées forcent l’arrêt. C’est un cardan rompu. Une panne grave. Nous voilà, comme je l’avais craint, en panne, en plein désert. Il faut attendre le passage d’un autre véhicule, un camion peut-être. Ou peut-être pas. Le soir tombe, très brusquement, comme toujours sous les tropiques. Dans la nuit, la chaleur fait vite place au froid. Nous grelottons. Une heure passe, puis deux. Enfin, des phares. Un camion s’arrête. Les naufragés du désert escaladent son chargement et s’installent, comme ils peuvent. Le chauffeur du taxi abandonne son véhicule. Il reviendra. D’Akjoujt à Atar, la route est toute droite sur cent-quatre-vingts kilomètres. Il nous en reste encore cent-cinquante à parcourir, dans le froid glacial de la nuit saharienne, avec le vent sifflant à nos oreilles, et dans le noir complet. On finit par arriver. Le camion nous dépose en périphérie. Il faut marcher, maintenant. Atar n’est pas une très grande ville mais, pour nous, c’est l’inconnu. Nous traînons les bagages, de simples valises sans roulettes, et je maudis les amis, voyageurs expérimentés, qui nous avaient convaincus de prendre avec nous une large provision d’eau potable. La poignée de la valise d’eau me scie les doigts. Je dois m’arrêter, de plus en plus souvent. Soudain, un homme sort d’une maison de terre jaunâtre. Il porte l’uniforme. C’est un policier. Tout heureux, je lui demande de nous indiquer l’Hôtel de Tourisme. « Mais, c’est ici », dit-il en montrant la cahute dont il vient de sortir. Pardonnez-moi, je cherche l’Hôtel de Tourisme d’Atar, nous y sommes attendus… Il n’en démord pas : « C’est ici, entrez… ». Comme je refuse, il se fâche : « Vos passeports ! ». Il contrôle, ils sont en règle. « Vos certificats de vaccination ! ». Ils sont en règle aussi, mais là, il voit quelque chose, Dieu sait quoi. « Je confisque vos passeports. Vous viendrez les reprendre demain au Commissariat ». Merci pour l’hospitalité, cher Monsieur ! Non, il vaut mieux se taire. Nous reprenons la route et, après une longue marche épuisante, nous arrivons enfin à l’Hôtel de Tourisme, le bon, le vrai. Il est minuit passé. Nous ne sommes nullement attendus, j’avais menti. Mais le gardien de nuit a pitié de nous, et accepte de nous céder une chambre. Nous sombrons bientôt dans le sommeil.
Le lendemain, nous voulons prendre une douche. Nous nous déshabillons, nous nous serrons étroitement dans la cabine de douche, et laissons l’eau tiède abreuver notre peau. Puis, nous commençons à nous savonner. L’eau pure du désert nous couvre d’une mousse blanche, abondante, qui s’éparpille. Tout à coup, l’eau cesse de couler. Aussitôt, la chaleur matinale sèche sur nous la mousse de savon, dont il ne reste plus que des filets indignes et collants. C’est là que j’ai rendu grâce aux voyageurs expérimentés : nous nous sommes rincés à l’eau minérale !
Avant de prendre le bus pour Chinguetti, il fallait récupérer nos passeports. Le Commissariat se trouvait tout à côté de l’Hôtel de Tourisme, mais je m’y voyais mal affronter l’homme de la veille, sa mauvaise foi crasse, ou ses collègues probablement aussi dangereux que lui, voire pires. Je vis alors, tout en face, le Palais du Gouverneur. Atar est une capitale de Région. Le Gouverneur était là. Nous avons obtenu une audience. Il nous a reçus comme un prince du désert qu’il était et, pendant que nous buvions avec lui le thé à la menthe, assis sur des coussins brodés, il faisait récupérer nos documents par l’un de ses hommes. Hélas, tandis que nous parlions, nous entendions embarquer les passagers pour Chinguetti et pour Ouadane, et partir le bus, sans nous. Il n’y en aurait pas d’autres avant plusieurs jours. Le policier, finalement, avait réussi son coup funeste.
Nous ne nous étions donné que peu de jours. Il était impossible d’attendre le bus suivant. Pour autant, avons-nous bien fait de renoncer à Chinguetti ? Je regarde la carte. Il n’y a que 86 km entre les deux villes. Pourquoi ne pas avoir loué une voiture ? À cet égard, mes souvenirs sont flous. Sans doute pensions-nous, sans doute savions-nous qu’il n’y avait pas encore de route, et que la piste était mauvaise. Sans doute nous souvenions-nous du cardan brisé. Par contre, Atar n’avait rien pour nous séduire : construite comme une ville de garnison, c’était un quadrillage de ruelles monotones, grises, poussiéreuses. On nous a parlé alors d’une belle oasis, bien accessible à une voiture tous-terrains, et nous avons décidé d’y aller. Terjit est située à 50 km d’Atar. Pour y aller, la route gravit les contreforts de l’Adrar, un massif gréseux fait de montagnes en forme de table, avec de hautes falaises, et la vue inoubliable sur des vallées sèches, plantées de longues files de dattiers dont les racines sucent et pompent l’eau enfouie sous le sable. Nous avions un chauffeur, un jeune Maure qui conduisait pieds nus, le visage protégé par son turban, torse nu, pantalon bouffant, boubou rejeté sur l’épaule. Il arrêta son 4/4 à quelque distance de l’oasis, et nous laissa seuls pour la visite. Terjit est une vallée étroite, entre une falaise et une dune sableuse haute d’une centaine de mètres. De la falaise coulent trois sources, deux sont froides, l’une est chaude. Elles sortent de la roche comme celle qui avait abreuvé, dans un autre désert, l’Égyptienne Hagar et Ismaël, son fils. Elles se rejoignent dans le fond de la vallée, pour former un étang qui se déverse dans un autre, puis dans un troisième, puis dans une petite rivière qui, hélas, ne va pas loin, absorbée par le sable. Dans ces étangs, nous avons vu des poissons. Tous de la même espèce, ils étaient là depuis des milliers d’années. Ils sont les témoins de l’existence d’un Sahara vert. Il y a cinq mille ans, lorsque le lien entre leur rivière et la mer fut rompu, ils sont restés là, se sont reproduits entre eux, ont survécu.
Nous nous sommes longtemps promenés sur ces berges, parmi les palmiers dattiers, dans la solitude absolue, jusqu’à ce qu’en regardant vers le sommet de la dune, nous vissions une tente blanche dont nous nous sommes alors approchés. Les nomades qui vivaient là nous ont fait signe, et nous ont invités. Avec eux, nous avons partagé le thé et le petit lait, aromatisé de cette purée d’arachides pilées qu’on appelle lakh en wolof. Ils parlaient à peine quelques mots de français, et nous ne connaissions rien de leur hassanya, mais ce n’était pas nécessaire. Par contre, nous avons pu tenir une longue conversation avec l’un d’eux, qui avait vécu longtemps au Sahara occidental, encore sous domination espagnole[2]. La langue que nous avions apprise, Sylvie et moi, en Amérique du sud, nous servait maintenant sous la tente de nomades maures. Ces gens s’appelaient Ould Hejj’aj. Ils nous ont laissé le souvenir d’une rencontre heureuse, intense, inespérée.
Le lendemain, des enfants d’Atar nous ont vendu des pointes de flèche en pierre, merveilleusement taillées, qu’ils ramassaient, disaient-ils, par poignées dans les dunes. Ces pierres datent d’environ 10.000 ans. Elles sont d’époque néolithique. Elles sont taillées, non polies, évidemment, pour être propres à l’emploi. À cette époque, le climat était redevenu humide, il y avait des lacs, et du gibier en abondance.
Pour notre dernière journée, nous avons décidé de faire une marche dans le désert. À quelques heures d’Atar, en direction nord nord-ouest, il y avait, disait-on, une ancienne cité, construite au XIe siècle par les premiers Almoravides. C’était tentant d’y aller voir. Tentant, certes, sans doute un peu déraisonnable aussi. Mais voilà, nous l’avons fait.
Les Almoravides, comme on sait, sont une secte musulmane conquérante qui s’est lancée à la conquête du Maghreb, puis de l’Espagne. Elle fut fondée vers 1040, par des Berbères Sanhadja, à partir d’un ribât, monastère et forteresse, situé sur une île que certains veulent voir sur le fleuve Sénégal, d’autres dans la baie du Lévrier. Selon les circonstances de leur expansion, ils eurent plusieurs capitales successives. La principale fut Marrakech, qu’ils fondèrent en 1062. Mais il fut un temps où ils se regroupèrent dans l’Adrar, dans une ville (un fort, un simple campement ?) qui porta le nom d’Azougui. C’est là que nous voulions aller.
Il n’y avait pas de piste. Seulement des pierres, et une vague direction. Sylvie avait une boussole, mais cet instrument rudimentaire n’avait pas de viseur. Nous sommes partis, tôt le matin, par un temps agréable. Toute la journée, le ciel fut voilé. La couche nuageuse empêchait heureusement la chaleur de grimper. Nous étions sur un plateau dont l’altitude s’élevait insensiblement. Au début, la marche était aisée, mais nous avons fini par buter sur des blocs irréguliers, arrondis ou pointus, qui roulaient sous nos semelles. Nous avancions sans crainte, mais non sans fatigue, aiguillonnés par le désir d’atteindre cette cité fantôme qui reculait devant nous, comme recule la ligne d’horizon. Nous n’avions évidemment pas pris avec nous la valise d’eau, ni même ce qu’il en restait après notre douche, mais nous avions un peu d’eau et, aussi, quelques provisions. À midi, nous nous sommes assis sur deux rochers plus gros que les autres, et nous avons pique-niqué. À quelle distance étions-nous d’Azougui ? Rien n’était visible, il n’y avait là qu’un saupoudrage interminable de cailloux. Et, parmi les cailloux, nous commencions à imaginer toute une vie recluse de scorpions, de serpents, d’araignées.
Nous avons continué à marcher jusqu’au milieu de l’après-midi. Sylvie commençait à avoir mal aux pieds. Elle portait des chaussures de marche en toile, dont la semelle était assez mince et la taille, légèrement trop courte. Nous n’allions pas pouvoir continuer longtemps. À ce moment, soudain, nous avons vu la ligne d’horizon se rapprocher. C’est absurde, évidemment : tout le monde sait que la ligne d’horizon ne s’approche jamais. Mais nous étions tout près de l’endroit où le plateau s’effondre. Le reg du plateau surmontait un erg dunaire. Entre l’un et l’autre, il y avait une falaise de cent mètres et là, tout en bas parmi les sables, le tracé d’un oued à sec, bordé de ses habituels dattiers. Nous étions presque arrivés là… où il nous serait impossible d’aller plus loin. Il ne fallait qu’un petit effort de plus, mais à quoi cela servirait-il ?
Il se fait qu’au bord de ce plateau, du sommet de la falaise, nous avons vu des ruines, à quelques kilomètres, sans doute, de l’endroit où nous étions. Oh, pas grand-chose : les traces laissées par des murs de terre sèche. Des trous. Azougui ?… Azougui.
Nous n’avons pas cherché à descendre cette falaise, où peut-être serpentait un sentier, peut-être pas. Nous étions fous, mais pas à ce point. Il fallait rentrer, et vite, avant que la nuit ne gagne. Nous avons fait demi-tour. À vrai dire, le retour fut dur, beaucoup plus que l’aller, et beaucoup plus risqué. Sylvie avait de plus en plus mal. À la fin, elle avançait à peine et je devais la soutenir. Nous nous arrêtions assez souvent, sans savoir si les pierres qui nous servaient de siège n’abritaient pas un scorpion, ou pire encore. Nous essayions de contrôler la direction avec cette boussole rudimentaire, mais c’était de plus en plus difficile, car le soir tombait. Ce qui nous a sauvés, ce sont les lumières de la ville, celles d’Atar. Bien faibles pourtant. Mais elles étaient sans concurrence, dans la nuit saharienne où la voie lactée semble être un immense fanal. Au retour, Sylvie put enlever ces chaussures qui l’avaient fait tellement souffrir. Les orteils étaient bleus. Il a fallu longtemps pour qu’ils retrouvent leur couleur normale.
Le lendemain, une fine bruine tombait du ciel, ce qui, nous dit-on, n’arrive qu’une fois tous les dix ans. Il fallait rentrer. Lors du retour vers Nouakchott, il n’y eut pas de cardan cassé. Il y eut par contre un vieil homme avec, dans les bras, un long fusil de fabrication locale, qu’il arrivait à peine à faire tenir dans la carlingue. Je me demandais ce qu’il allait en faire. Quelque part, le taxi fit une halte. Plusieurs hommes descendirent se soulager en s’accroupissant, à la manière locale, pour éviter qu’un djinn ne les pénètre. Le vieil homme fit quelques pas au bord de la route, puis il se retourna, et tendit vers nous son arme, comme s’il allait faire feu. Avec son turban, son boubou, son chèche noir et sa longue barbe en pointe, il ressemblait tout à fait à un guerrier d’autrefois. Il nous fit alors un grand sourire. La plaisanterie était bonne : tous les voyageurs en éprouvèrent un plaisir sans mélange. Puis il s’éloigna. Il avait bien le droit de pisser, lui aussi.
[1] En 2020, 800.000.
[2] Jusqu’en 1976.